En remontant le temps, quelques réflexions sur le passé et le futur de l'Escaut en ville

"Rive droite ou rive gauche"? C'est ainsi qu'un(e) Tournaisien(ne) peut situer l'endroit dont vous parlez. Car c'est bien l'Escaut, ce fleuve qui façonne la ville depuis des siècles qui sert de point de repère aux habitant(e)s.
En tant qu'élue communale, j'ai vécu de tout près le parcours tumultueux de l'aménagement des quais et la question existentielle de l'élargissement (ou du contournement du fleuve). Je vous livre mes réflexions, mes doutes avec un peu de recul. De erreurs ont été commises. Mais je pense que rien n'est totalement blanc ou noir dans les choix qui ont marqué l'évolution récente du fleuve et de ses rives.

sur l'élargissement de l'Escaut

C'est en1976 que j'ai découvert la difficile coexistence  entre Tournai et l'Escaut.  Je votais pour la première fois et je découvrais le thème principal de cette campagne : élargir le fleuve en ville ou réaliser  un contournement par le Nord, traversant essentiellement la commune de Kain (celle-ci vivait ces derniers mois car elle fut englobée après le scrutin d'octobre 1976, dans le Grand Tournai, suite à la fusion des communes).

Selon qu'ils vivaient en ville ou au village, les "nouveaux Grands Tournaisiens" rejetaient catégoriquement l'une ou l'autre des solutions. Un an plus tard, une autre option mettait d'accord tous les nouveaux Tournaisiens,  "l'alternat", qui supprime le croisement des péniches dans le centre-ville.  Mais peut-on toujours repousser le moment  de prendre une décision plus audacieuse, je me posais la question à l'époque et elle subsiste encore aujourd'hui.  J'imagine le visage de notre ville  si le choix s'était porté sur un grand contournement de l'Escaut.  La commune, avec le soutien de la Région Wallonne, aurait consacré des moyens financiers  pour  rendre plus  agréable les abords du vieux fleuve, en ravivant ses quais et en restaurant les monuments qui le bordent.  Les tours moyenâgeuses du Pont des Trous mais aussi les tours Marvis, et d'autres monuments historiques (comme la Tour HenriVIII) pourraient retrouver l'éclat qu'elles méritent .  A quelques kilomètres d'ici, Kortrijk a opté pour un contournement de la Lys, malgré les difficultés engendrées par un tel choix.  La ville a trouvé un autre visage, plutôt agréable , par la formation de l'île Buda en son centre, la rénovation des quais et des ponts qui s'ouvrent aux promeneurs et aux cyclistes pendant que les péniches de 3 000T (et bientôt 4000T) lézardent  en toute quiétude à l'extérieur de la ville sans troubler son calme.

 Comme de nombreux Tournaisiens, je pressentais que l'élargissement de l'Escaut n'était pas un dossier clos en admirant les péniches impressionnantes  qui traversaient la ville. Je  m'émerveillais devant  l'habileté des bateliers qui manœuvraient leur bateau entre les arches du Pont des Trous et dans la partie la plus étroite du fleuve.
C'est en 2007, alors que j'étais conseillère communale depuis 13 ans, que le sujet est revenu sur la table du conseil.  Le gouvernement wallon demandait au conseil un avis sur 3 options possibles  : le grand contournement, le petit contournement ou l'Escaut dans son lit actuel en élargissant l'arche centrale du Pont des Trous. Les élus communaux ont privilégié l'élargissement de l'arche centrale du Pont des trous.  la Région wallonne avait apporté des arguments convaincants en faveur de ce choix. Le grand contournement serait trop onéreux, le petit contournement n'assurerait pas la sécurité optimale de la navigation. Avec le recul, ce choix (mon choix également)  me semble moins évident : je crains souvent que cette option soit insuffisante dans le futur. Toute cette polémique pour un retour à la case départ dans 20 ou 30 ans? C'est possible. L'Escaut, reste un fleuve étroit, et peu profond dans sa traversée de la ville.

Une autre interrogation fondamentale me taraude toujours.

Faut-il poursuivre l'élargissement des voies d'eau, créer d'immenses écluses, creuser des canaux démesurés alors qu'il faut diminuer drastiquement le transport de marchandises ?  En 2007,  le gouvernement wallon présentait un projet cohérent : mettre au gabarit standardisé VA, soit 2000T , la plupart des voies d'eau wallonnes. L'élargissement à Tournai permettait d'obtenir un financement européen dans le cadre du projet Seine-Nord Europe et constituait  la première phase de ce relooking des voies navigables wallonnes.
 L'approche des élections communales de 2018 a donné lieu à un stress intenable pour certain(e)s  hommes et  femmes politiques qui tenaient des propos plus opportunistes que crédibles : leurs paroles  changeaient  au gré des hésitations françaises sur la réalisation du canal. Même lorsque les travaux étaient entamés à hauteur du quai st Brice, certains disaient encore : "on ne bougera pas au Pont des Trous si les Français ne bougent pas". Ces tergiversations allaient à l'encontre de l'ambitieux projet de mise à gabarit évoqué par le gouvernement wallon en 2007.  Ou alors, avons-nous été trompés à l'époque par un gouvernement wallon trop persuasif pour être vrai?  Tournai devait-il servir de laboratoire pour mesurer le développement du trafic fluvial suite au  creusement du canal en France? La question des nuisances a aussi été écartée du débat:  un trafic intense et de nuit sera-t-il  supportable pour les habitants qui vivent près du fleuve? C'est une crainte que j'avais à l'époque et que je ressens encore aujourd'hui.
  Plus largement, les nombreuses interpellations  de citoyens à mon égard au sujet du développement sans limite du transport de marchandises me reviennent en écho aujourd'hui. En 2007, tous les élus locaux et régionaux étaient  persuadés  qu'il fallait transférer une grande partie des marchandises acheminées  par camions sur les bateaux pour sauver la planète. Mais cette idée est-elle aussi défendable  aujourd'hui?   Nous devons diminuer les flux de matières premières, de produits issus de l'industrie en privilégiant la production et la consommation sur place. Relocaliser l'économie, recycler, réutiliser le plus possible en évitant les transports. Ce n'est pas une utopie mais une nécessité à mettre en œuvre dès aujourd'hui. Faut-il dès lors continuer à financer de grands projets d'infrastructure routière, ferroviaire ou sur voie d'eau?  A l'époque, j'étais persuadée que le transfert modal vers la voie d'eau était un pari sur l'avenir mais cela reste un pari risqué.  Transporter par péniche reste incontestablement plus écologique que transporter par camions. Ceux-si sont responsables d'une forte consommation de carburants fossiles, d'une intense pollution de l'air, d'embouteillages, et d'accidents. Mais le  transport fluvial pollue aussi par la consommation de carburants fossiles, par le bruit qu'il occasionne en milieu urbanisé. Je pense donc qu'il faut soutenir ce transfert modal vers la voie d'eau s'il s'accompagne de mesures diminuant son impact sur l'environnement et surtout en soutenant une économie plus raisonnable en matière de transport : ne transportons pas tout et n'importe quoi sur toutes les navigables du monde.


Sur l'aménagement des quais et le Pont des Trous 

Pendant 20 ans, j'ai dénoncé le gaspillage d'argent public pour des projets qui ne répondaient pas au réels besoins des habitant(e)s et des touristes le long des quais.


Sur le quai Taille-Pierres, une piste cyclable inutile et grotesque, construite avec des fonds de la Région Wallonne car Tournai était ville pilote cyclable. Elle est disparue aujourd'hui, après avoir englouti beaucoup d'argent public.
Sur le quai Notre Dame et des Poissonsceaux, une rambarde plastifiée et lumineuse, trop fragile, remplacée en de nombreux endroits par des barrières nadar pour éviter les chutes dans le fleuve, un vrai régal pour les yeux des flâneurs! Cette rambarde coûte très cher car la Ville doit la remettre régulièrement en l'état, au risque de devoir rembourser les fonds européens perçus.

Sur le quai des Salines, des alcôves qui sont loin d'être conviviales, comme l'avait rêvé l’architecte qui les a conçues. Au contraire, elle n'apportent que nuisances et insécurité obligeant une présence policière accrue et des coûts importants de nettoyage.

L'argent européen a coulé à flots sur nos quais. Pourtant, de larges trottoirs arborés, du mobilier urbain adapté étaient largement suffisants pour mettre en valeur le fleuve à travers la ville.

 Le pouvoir communal aurait pu recueillir l'avis des Tournaisien(ne)s pour l'aménagement global des quais . Le résultat aurait été certainement plus cohérent et moins onéreux que certains gadgets imaginés par les architectes en charge de l'aménagement.

Dans le cadre des travaux d'élargissement actuel, un processus participatif , autour du pont, a enfin vu le jour à Tournai .  Les citoyen(ne)s intéressé(e)s par la vie en ville ont pu apporter leur contribution sur l'aménagement autour du Pont des Trous. Point d'orgue de ce processus, un geste contemporain a été présenté par l'architecte Bastin aux participants.

J'avoue avoir été séduite par ce projet. La lumière transperçant les pierres et la disparition de lisses de guidage dans le fleuve apportent légèreté et élégance à cette version contemporaine, dénommée pont Macdo par ses détracteurs.  Je respecte ceux et celles qui préfèrent une version de pont des trous à l'ancienne mais je crains que le projet ne répondra pas au souhait des Tournaisiens qui veulent revoir Leur Pont des Trous disparu dans les flots. Les arches seront disproportionnées et se rapprocheront du projet Macdo  alourdi par une courtine en pierre; Et les lisses de guidage, si décriées, reprendront leur place au milieu du fleuve. Les aménagements autour du Pont n'auront plus la même saveur au contact de ces griffes qui dénaturent le fleuve.

Les élus d'aujourd'hui sont partagés. Certains exigent qu'on remplisse au plus vite le trou béant entre les tours. D'autres demandent un moratoire d'un an pour avoir un peu de recul. Les défenseurs du Pont historique veulent reconstruire rapidement pour éviter que le vide ne soit jamais comblé.

Au risque de décevoir, je pense qu'un moratoire d'un an est bien insuffisant.
 Il me semble plus intéressant de réaliser d'abord tous les aménagements prévus autour du Pont, afin d'apprivoiser le nouveau visage du fleuve et des tours rénovées. Le temps permettra de construire des arches qui s'harmoniseront avec le nouvel ensemble.

Ce n'est qu'un avis personnel, je le répète. Mais je ne connais pas d'exemples où  la précipitation a donné des résultats satisfaisants.

 







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